Contexte scientifique

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Inégalités territoriales de santé environnement


L’état de santé d’une population peut être affecté par un ensemble complexe de déterminants individuels et de facteurs sociaux et environnementaux. Dans un rapport du Secrétariat Général des Ministères chargés des Affaires Sociales (SGMAS) et du Commissariat Général au Développement Durable (CGDD), la question des inégalités environnementales et sociales de santé, à l’échelle des territoires, est rapportée à deux dimensions cumulatives : un niveau d’exposition des populations à un environnement de vie dégradé et un niveau de vulnérabilité face à ces facteurs de risques, capables d’affecter la santé (Besse et al., 2014). Ainsi, les populations faisant face à une précarité plus prononcée seraient à la fois plus exposées à des nuisances environnementales et plus sensibles aux effets sanitaires résultants (OMS, 2012). En France, les Plan Nationaux Santé Environnement (PNSE1 2004-2008 ; PNSE2, 2009-2013 ; PNSE3 2015-2019) ont fait de la lutte contre ces disparités territoriales en termes d’inégalités environnementales et sociales de santé une priorité. Le PNSE 3 renforce cet axe en valorisant la notion d’exposome, c’est-à-dire l’exposition cumulée de la population à différents facteurs physico-chimiques et biologiques, et la construction d’indicateurs spatialisés (chapitre II, actions n°34, 39, 41, 42, 52).

Difficultés de la santé environnementale : quels verrous à lever ?


La santé environnementale, telle qu’elle est définie dans le premier PNSE constitue

« l’ensemble des interactions entre l’Homme et son environnement et les effets sur la santé liés aux conditions de vie (expositions liées à la vie privée et/ou professionnelle…) et à la contamination des différents milieux (eau, air, sol…) ».

La notion d’environnement renvoie alors aux différents milieux de vie des populations et écarte ce qui relève de l’exposition volontaire et du comportement individuel comme le tabagisme, la consommation d’alcool ou les habitudes alimentaires. Le milieu de vie peut être constitué de l’environnement domestique, extérieur, mais aussi professionnel. Dans le cadre de ce programme, nous nous intéressons à la population générale telle que la définit le code de santé publique. Par conséquent, nous considérons l’environnement essentiellement en tant que milieu de vie extérieur (air, eau, sols). Celui-ci peut également être dénommé comme environnement général ou naturel et relève du Code de l’environnement. Nous écartons ainsi l’exposition professionnelle, régie par la prévention des risques au travail (Code du travail) et les expositions à l’intérieur des locaux.

La génétique, les comportements individuels, les déterminants individuels (âge, sexe), les caractéristiques socio-économiques, l'environnement de travail, l'environnement intérieur et l'environnement de vie extérieur (air, eau, sol) sont les principaux déterminants de la santé.
Facteurs influents de la santé

L’impact que peuvent avoir les différentes composantes de l’environnement, c’est-à-dire la qualité de l’air, la qualité de l’eau et la qualité des sols, sur la santé est reconnu depuis de nombreuses années. De manière générale, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estimait récemment que 23% des décès prématurés observés en 2012 au sein des pays développés sont imputables à l’environnement (Prüss-Üstün et al., 2016).

Concernant la pollution atmosphérique, c’est près de 3,7 millions de personnes qui sont décédées prématurément dans le monde en 2012 – soit 3,4 % des décès – du fait de l’exposition à la pollution de l’air extérieur (OMS, 2014). La décision de classer les émissions diesel et la pollution de l’air extérieur comme cancérogènes certains a été prise en 2013 (OMS, 2015).

Parmi ces 3,7 millions de décès prématurés attribuable à la pollution de l’air extérieur, moins de 15 % (455 000 décès) sont observés dans les régions au niveau de revenu élevé. Cela confirme l’implication de facteurs socio-économiques dans la survenue d’évènements de santé.

Ce rapport conclut en mettant en évidence un lien particulier entre la pollution de l’air et les maladies cardio-vasculaires, respiratoires, ainsi que les cancers. A ce titre, le projet européen APHEKOM a récemment conclu que le dépassement des recommandations de l’OMS sur les particules fines atmosphériques (PM2,5) génèrerait 19 000 décès supplémentaires par année dans les grandes villes européennes, dont la majorité serait causée par des maladies cardio-vasculaires (Pascal et al., 2013).

Pourtant, ce lien reste difficile à caractériser car les maladies mises en lien avec l’environnement présentent une étiologie multifactorielle et une faible spécificité des symptômes. De plus, l’Homme est exposé à son environnement d’une manière globale, et donc à l’ensemble des contaminants environnementaux qu’il contient. La multiplicité des voies d’exposition rend encore plus complexe l’identification et la détermination de facteurs de risques environnementaux.

Afin de mieux caractériser la qualité de l’environnement de vie des populations, un cadre réglementaire national et international de plus en plus présent (la Loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie en 1996 qui fait partie intégrante du Code de l’Environnement, la Directive Cadre Eau en 2000 traduite au niveau local en schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), la Directive Cadre Sols actuellement en cours d’écriture, etc.) fixe la mise en place d’importants programmes de surveillance des milieux par les instances agréées (associations agréées pour la surveillance de la qualité de l’air (AASQA), agences de l’eau, groupement d’intérêt scientifique sol). Malgré cette surveillance continue, la connaissance de l’état qualitatif des milieux environnementaux reste en retard par rapport à celle de l’état de santé des populations, essentiellement pour des raisons de coût et d’accès aux données existantes.

L’ensemble de ces constats explique qu’aujourd’hui, en dehors de quelques pathologies particulières telles que le saturnisme (principalement lié à l’ingestion de plomb) ou le mésothéliome de la plèvre suite à une exposition à l’amiante, peu de maladies peuvent être indubitablement associées à la qualité de l’environnement.

Certaines pathologies bénéficient également d’une littérature conséquente concernant les facteurs de risques environnementaux. Des pics de pollution atmosphérique ou l’exposition à un polluant atmosphérique spécifique (Crouse et al., 2012 ; Katsoulis et al., 2014 ; Carey et al., 2013) sont régulièrement reliés à une sur-incidence d’évènements respiratoires et cardio-vasculaires. Néanmoins, peu d’études tiennent compte de la pollution de fond, de l’exposition multiple et de la qualité de l’environnement appréciée sur le long terme.

Pour d’autres pathologies telles que l’insuffisance rénale chronique ou les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), les déterminants environnementaux sont encore peu ciblés. Le cadmium pourrait par exemple accélérer le processus de passage au stade terminal de l’insuffisance rénale (Lauwerys et al., 1993 ; Hellström et al., 2001 ; Järup et al., 2002). Une augmentation rapide et de grande ampleur de l’incidence de la maladie de Crohn depuis 1950 dans les pays développés, ainsi que son apparition récente dans les pays émergents, témoignent par ailleurs que des modifications environnementales jouent un rôle dans la pathogénèse (Jantchou et al., 2006).

Pour pallier ce manque de caractérisation et déterminer un lien de causalité entre une pathologie et l’environnement, il existe les méthodes d’évaluation des risques sanitaires (ERS), basées sur le continuum source – vecteur – cible (National Research Council, 1983), ou les approches épidémiologiques à l’échelle de l’individu, réalisées sur des cohortes de patients ou en population générale. Les ERS sont spécifiques au site étudié, c’est-à-dire que les résultats ne peuvent être extrapolés à la population générale. Les études épidémiologiques individuelles sont quant à elles difficiles à mettre en œuvre et présentent notamment un coût élevé.

Etudes écologiques géographiques


Dans ce contexte, les études écologiques géographiques (ou temporelles) se présentent comme d’autant plus intéressantes, afin d’explorer les hypothèses étiologiques en amont d’études plus interventionnelles. Les études écologiques visent à détecter les variations de l’occurrence d’une maladie dans l’espace ou dans le temps, et à relier ces variations à des facteurs environnementaux et/ou sociaux. Ces études utilisent des données agrégées (groupes d’individus) et non des données individuelles. Elles constituent un véritable outil de diagnostic et d’aide à la décision en santé publique, puisqu’elles offrent une réponse à un coût limité, dans un temps relativement bref et à une échelle spatiale modulable (Goria et al., 2011).

Ces études produisent néanmoins des résultats globaux, liés à l’existence d’un certain nombre de biais (Wakefield, 2008), comme le biais écologique. Ce biais écologique se traduit par exemple par des facteurs de risques individuels différents au sein des groupes de populations étudiés. Il est ainsi difficile de se focaliser sur une substance précise, puisque les facteurs environnementaux étudiés ne peuvent être considérés en tant qu’exposition réelle des groupes de population.

Dans une étude écologique, le lien santé – environnement ne repose donc pas sur l’estimation d’un risque au dépend d’une exposition, mais sur la superposition d’informations de différentes natures et l’étude de leur évolution conjointe ou non. Celles-ci sont ainsi susceptibles de traduire un lien, caractérisé par des populations ayant un état de santé dégradé dans un environnement dégradé.

Systèmes d’information géographique en santé environnement


Pour territorialiser et étudier de manière conjointe des paramètres de l’état de l’environnement, des statistiques démographiques et socio-économiques, ainsi que la morbi-mortalité des populations, les Systèmes d’Information Géographiques (SIG) alimentés par des bases de données spatialisées représentent des outils indispensables en vue de détecter les points noirs environnementaux, sanitaires et socio-économiques (Vine et al., 1997). Renforcés par des approches statistiques spatialisées (méthodes géostatistiques d’interpolation, cartographie des maladies, détection de clusters spatiaux) appliquées à ces indicateurs géoréférencés, ils constituent une base conséquente de puissants outils d’analyse spatialisée.

Les SIG permettent d'intérroger conjointement des données spatiales relatant la santé, l'environnement, les sciences humaines et sociales et la démographie.
Les SIG en santé environnement (modifié à partir d’ESRI France)

La concrétisation d’une étude spatialisée en santé environnementale dépend non seulement de la disponibilité des données, sur un territoire identique et une période de temps adéquate (notamment en fonction du temps de latence du facteur de santé étudié), mais aussi de leur format pour permettre leur mise en relation statistique. Or les données environnementales, sociales et sanitaires sont de natures et de types très divers. En effet pour des raisons institutionnelles d’éthique et de confidentialité, les indicateurs de santé (issus de registres de pathologies par exemple) et les indicateurs socio-économiques des populations (issus des recensements de l’Institut National de Statistique et d’Etudes Economiques (Insee) par exemple) sont calculés et communiqués de manière agrégée. L’information (incidence de maladie, indicateur de précarité, etc.) caractérise un groupe de population, en général une unité administrative (canton, commune, quartier, etc.). Pour l’environnement, la majorité des données renseignant la qualité de milieux sont de nature géostatistique. Celles-ci sont constituées d’un échantillon de points géoréférencés auxquels est attribué un indicateur mesuré (une concentration en polluant ou un indice biologique). Les différents formats de ces données nécessitent la mise en œuvre de traitements spatiaux variés et peuvent engendrer des difficultés lors de leur mise en relation.

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Références bibliographiques


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Crouse DL, Peters PA, van Donkelaar A, Goldberg MS, Villeneuve PJ, Brion O, Khan S, Atari DO, Jerrett M, Pope CA, Brauer M, Brook JR, Martin RV, Stieb D, Burnett RT. 2012. Risk of nonaccidental and cardiovascular mortality in relation to long-term exposure to low concentrations of fine particulate matter: a Canadian national-level cohort study. Environ Health Perspect., 120:708-14.

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